En conversation avec Merna Eulentin |08 February 2021
« Agir, et agir vite !!! C’est le maître-mot ! »
Aux Seychelles aujourd'hui, un système d'enseignement gratuit est en vigueur depuis 1981, qui est obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans et gratuit jusqu'à l'école secondaire jusqu'à l'âge de 18 ans. Les étudiants doivent payer pour les uniformes, mais pas pour les livres ou les frais de scolarité. Beaucoup ont saisi cette chance et ont poursuivi leur éducation tertiaire, grâce aux bourses du gouvernement ou des pays amis. Selon un rapport publié en 2015 par le bureau régional de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à Dakar, Sénégal, les Seychelles sont le seul pays d'Afrique qui a déjà pleinement réalisé l'éducation pour tous, conformément aux six objectifs de l'Éducation pour tous (EPT) définis par l'UNESCO.
Aujourd’hui nous sommes en conversation avec Merna Eulentin qui a récemment reçu une bourse d'excellence de l’Université de Montréal. Sa passion, c’est l’éducation. Dans cet entretien, elle nous décrit son parcours et nous confie ses vœux pour l’amélioration du système éducatif aux Seychelles.
Seychelles NATION : Qui est Merna Eulentin ?
Merna Eulentin : Merna Jane Eulentin est une jeune femme Seychelloise, passionnée d’éducation et des questions plus en lien avec l’équité, la justice sociale et la formation des enseignants. Je dirais pour résumer que je suis une militante convaincue que le développement des Seychelles passera incontestablement par l’école, une école que je veux voir porter les espoirs et les espérances de tous les Seychellois.
Seychelles NATION : Racontez-nous votre enfance et jeunesse.
Merna Eulentin : Comme certainement beaucoup de Seychellois, j’ai grandi dans une famille modeste entourée d’amour de mes deux parents, que je salue au passage, ainsi que ma grande sœur. Je suis née ici à l’Hôpital de Victoria et j’ai vécu avec mes parents à Saint Louis jusqu’à l’âge de 3 ans. Après, ma famille a déménagé à Le Niole en 1993, et depuis j’habite dans ce sous-district. Mon enfance et ma jeunesse ont été bercés dans la joie de vivre mais aussi rythmées par les activités sportives et scolaires. J’étais on dira très active. Quelque chose que je garde encore (rires).
Seychelles NATION : Quelle a été votre choix pour les études et pourquoi ?
Merna Eulentin : Naturellement l’enseignement ! C’est toute une histoire (rires) ! Je dirais celle d’une attirance mutuelle. Quelque chose m’attirait et m’inspirait dans ce noble métier et plus j’avançais dans les études, ma conviction se confirmait que je suis faite pour ce métier. Peut-être une influence de mes enseignants, mais aussi la prise de conscience précoce que c’est vraiment là que je pouvais faire une différence. Tenir bon le flambeau en attendant de le passer aux générations futures.
Seychelles NATION :Parlez-nous de votre carrière comme enseignante ?
Merna Eulentin : Je dirais que le choix de l’éducation a été le plus beau choix de ma vie. L’enseignement est un métier que j’aime et qui me le rend bien. Après ma formation au School of Advanced Levels Studies (SALS), j’ai été au National Institute of Education où j’ai eu mon Diploma in Secondary Education en 2011. J’ai par la suite commencé timidement l’enseignement à l’École de Beau Vallon où j’ai passé trois belles années, pleines de défis et d’enseignements, mais qui ne m’ont jamais fait perdre la passion pour ce métier. Je suis retournée ensuite aux études en 2013 à l’Université des Seychelles où j’ai décroché un Bachelor of Arts in French en 2016. À ma sortie, je suis retournée enseigner à Beau Vallon de 2016 à 2017. En 2018, j’ai rejoint l’École Secondaire de Persévérance où j’ai occupé le poste de responsable du département de Français. J’y ai rencontré des collègues dynamiques et j’ai aussi eu le privilège d’y travailler avec une équipe fantastique. Elle m’a fait prendre conscience de l’ampleur des besoins de l’école et des élèves aux Seychelles. Aussi, consciente des enjeux des réformes au niveau mondial et des implications en termes de changement mais aussi d’accompagnement de nos enseignants, je me suis sentie comme une nécessité de devoir faire quelque chose pour mon pays. Pour donner le meilleur de moi-même à l’école seychelloise, et sous les conseils éclairés de Monsieur Mohamed Lamin Kanté, j’ai présenté ma candidature au Programme Canadien des Bourses de la Francophonie (PCBF). Ce programme d’excellence m’a offert des opportunités de développement professionnel et d’amélioration de mes compétences en me permettant d’aller faire une maîtrise dans une des plus prestigieuses universités au monde, l’Université de Montréal.
Seychelles NATION :Si vous pouvez nous décrire vos études à l'UniSey en partenariat avec la Réunion et ensuite à Montréal ?
Merna Eulentin : L’Université de Seychelles en collaboration avec l’Université de la Réunion m’ont assez bien préparé pour les études au Canada. Les cours étaient intenses, les tâches à compléter nombreuses ; mais ma motivation m’a aidée à prendre le dessus sur les défis et à les surmonter au fur et à mesure. Je dois aussi mentionner que j’ai eu des professeurs exceptionnels dans cette université. Ils m’ont énormément soutenu et inspiré. Je suis vraiment reconnaissante pour tout le soutien dont j’ai pu bénéficier de la part des femmes exceptionnelles qui ont tracé la voie. La liste est longue, mais je vais nommer quelques-unes de ces dames, entre autres la Vice-chancelière de l’UniSey Joëlle Perreau, Annie Laurette Dodin, Zita-Bella Labiche, Geneviève André, Dr Marie-Reine Hoareau et Dr Odile De Comarmond, la secrétaire principale de l’éducation.
Pour les études au Canada, je dois commencer par remercier le PCBF sans qui ce projet n’aurait peut-être jamais vu le jour. Ce programme m’a offert une bourse pour aller faire des études entièrement financées par le gouvernement Canadien. Et grâce à ces études, je vois aujourd’hui l’éducation d’un angle différent. En effet, j’ai fait une Maîtrise en sciences de l’éducation, Option Administration de l’éducation à l’Université de Montréal. C’est un programme très exigeant. Il forme pour plusieurs champs d’intervention, notamment la gouvernance scolaire, le leadership pédagogique, l’accompagnement au développement professionnel des enseignants, la formation des formateurs, entre autres. Étant donné que j’avais choisi l’option recherche, j’avais donc 21 crédits de cours à compléter et 24 crédits en recherche. J’ai réussi avec brio tous mes cours. Les programmes sont trop exigeants en termes de lectures et de travail individuel et collectif. Tu dois parfois traverser toute une nuit avec une pile de lectures à faire, faire face à la solitude du travail intellectuel, engager le froid hivernal pour aller à l’université, et surtout apprendre à travailler sous une grande pression. On devient rapidement multitâche pour s’en sortir. Également, les études au Canada m’ont permis de travailler avec des équipes de recherche très dynamiques et des professeurs fantastiques.
Seychelles NATION :Et sur votre récente bourse d'excellence de Montréal ?
Merna Eulentin :C’est une bourse dont je suis très fière. Au-delà de ma personne, elle véhicule une image positive des Seychelles à l’Université de Montréal. C’est une bourse d’excellence très compétitive qui récompense autant l’excellence scolaire que l’assiduité dans le respect des délais de dépôt des mémoires et thèses. Par la grâce de Dieu et avec les encouragements des parents, des collègues, des amis, je devrais dire des Seychelles, j’ai pu déposer mon mémoire avant la fin de mon sixième trimestre d’inscription ; ce qui est une exception ; et cela sans sacrifier la rigueur du travail de recherche scientifique et l’excellence requise quand on est seule ambassadrice des Seychelles dans une université qui accueille plus d’une trentaine de nationalités. Je dis à la fois merci à l’Université de Montréal mais aussi aux Seychellois qui m’ont insufflé l’énergie pour me relever à chaque fois que de besoin.
Seychelles NATION : En tant que jeune, comment voyez-vous notre système éducatif aux Seychelles ?
Merna Eulentin :Notre système éducatif se porte relativement bien. Nous avons des enseignants dynamiques et qui veulent donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais, il y a encore des défis, parce que nous sommes dans un système mondialisé qui inspire des changements continus. Les défis sont réels tant sur les questions d’équité, de justice sociale et de formation des enseignants. Ce qui me fait garder espoir, c’est que notre ministre de l’éducation en est conscient et les initiatives qu’il a prises vont dans le sens d’un vrai changement et surtout un changement qualitatif. Il est très à l’écoute du terrain et des enseignants ; et cela est rassurant parce que son leadership est surtout axé sur une démarche inclusive et collaborative. Il veut apporter des changements, avec les enseignants, et pour le développement des Seychelles. Les échos du terrain et de mes collègues enseignants sont très positifs et cela me rassure parce qu’ils savent où on veut mener l’École seychelloise. Plusieurs sont déjà prêts à embarquer avec nous. Je dois vous dire aussi que le ministre de l’éducation est aussi ouvert à des partenariats de qualité avec des spécialistes et chercheurs en éducation tant au niveau national qu’à l’international. Nous sommes déjà en échanges assez avancés avec le Canada, par exemple l’Université de Montréal, avec le Professeur Marc-André Deniger, mon directeur de recherche, le Professeur Serges Larivée qui est vice-doyen à la recherche. Nous sommes aussi en partenariat avec des collègues du département d’éducation et pédagogie de l’Université du Québec à Montréal, notamment le Professeur Ben Moustapha Diédhiou, spécialiste en mesure et évaluation en éducation.
Seychelles NATION :Parlez-nous sur votre dissertation.
Merna Eulentin : Ma dissertation a porté sur l’équité socio-économique de confort pédagogique. Il s’agit d’une étude exploratoire qui visait à comprendre la problématique du faible rendement du système scolaire des Seychelles. Notre analyse met l’accent sur l’équité du système en se basant sur la performance scolaire des élèves au sein des écoles primaires et secondaires aux Seychelles. L’objectif est de faire un état des lieux de l’équité socio-économique de confort pédagogique aux Seychelles. Ainsi à partir d’un corpus de 74 textes constitués pour l’essentiel de rapports ministériels, nous avons réalisé une analyse documentaire (Cellard, 1997 ; Gauthier, 2009 ; Poupart et al., 1997) qui a permis de dégager quelques caractéristiques de la situation de l’école seychelloise par rapport à la mise en œuvre de l’équité. Une analyse de la quantité et de la qualité des enseignants, des stratégies pédagogiques déployées en salle de classe et de l’évaluation des apprentissages montre que le système éducatif seychellois a encore du chemin à faire pour couvrir convenablement les attentes en matière d’équité socioéconomique de confort pédagogique, envisagée sous l’angle de la conceptualisation de Sall et De Ketele (1997).
Le constat majeur d’une faiblesse plus générale du système éducatif seychellois par rapport à cette forme d’équité nous a amenée à faire diverses recommandations, tant en ce qui concerne les directions d’établissement qui devraient réajuster les politiques en matière d’équité ; mais aussi en direction du personnel enseignant plus large, incluant leurs formateurs, appelés à traduire en actes concrets l’équité en classe et dans les relations avec les élèves. J’ai montré que l’équité au Seychelles requiert à la fois un travail de différenciation pour soutenir et accompagner les élèves en fonction de leurs besoins d’apprentissage, mais aussi un travail de régulation et d’ajustement continue des stratégies d’enseignement et d’évaluation pour les aligner sur une norme de justice sociale.
Seychelles NATION :Que pensez-vous qu'il faut faire dans l’immédiat ?
Merna Eulentin :Agir, et agir vite !!! C’est le maître-mot ! Il faut mettre en place des dispositifs de formation avec les enseignants et pour de vrais changements. Nous pouvons nous inspirer des lessons studies qui ont donné des résultats probants au Japon, mais aussi des modèles des recherches collaboratives canadiennes qui apportent le changement en construisant les savoirs avec les enseignants et avec tous les acteurs concernés. Pour nos enseignants et nos élèves, je pense qu’il faut mettre des ressources dans les classes, et surtout revoir les rémunérations attribuées aux enseignants, entre autres.
Seychelles NATION :Votre plan pour le futur ?
Merna Eulentin :Il y a de grands chantiers à plusieurs niveaux et tout cela demande de l’action. Donc, plutôt que d’annoncer mes plans, je suis dans une démarche pragmatique : une analyse des besoins, une planification des changements, un engagement avec les équipes et tous les Seychellois qui veulent apporter de vrais changements pour rebâtir notre système éducatif.
Seychelles NATION:Vos mots de la fin...
Merna Eulentin :Les besoins de changement en éducation sont très importants et nous en sommes conscients. Donc nous tendons la main à toutes les forces vives des Seychelles. C’est un appel que je fais aux Seychellois et à tous les enseignants! Vous êtes nos premiers partenaires et c’est avec vous qu’on va apporter le changement pour l’avenir de notre nation.
Sur un autre volet et surtout de reconnaissance, je dirais que c’est ici l’occasion de remercier le gouvernement Canadien spécialement le Programme Canadien des Bourses de la Francophonie qui m’a donné l’opportunité d’étudier au Canada. J’aimerais aussi remercier les personnels de l’Université de Montréal, la Faculté de Sciences de l’Éducation qui m’a apporté un grand soutien pendant les moments difficiles. Une mention spéciale à mon directeur de recherche Marc-André Deniger qui m’a encouragé d’évaluer le système éducatif seychellois. Cela a été un « Smart move » je dirai. Je souhaite également remercier mon ami Ben Moustapha Diédhiou, professeur à l’Université du Québec à Montréal qui a été d’un grand soutien.
Compilé par Vidya Gappy