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Entretien exclusif avec Jean-Luc Mootoosamy, journaliste, directeur de « Media Expertise » : |12 February 2024

Entretien exclusif avec Jean-Luc Mootoosamy, journaliste, directeur de « Media Expertise » :

Jean-Luc Mootoosamy: (photo COI)

« J’ai vu beaucoup de passion, d’amour du métier et de bonne volonté dans la presse seychelloise »

 

« J’ai vu beaucoup de passion, d’amour

du métier dans la presse seychelloise »

 

A l’issue d’une semaine d’accompagnement de journalistes seychellois pour une couverture journalistique professionnelle de l’Assemblée Nationale, le formateur, Jean-Luc Mootoosamy, journaliste international originaire de l’Océan Indien, nous parle des résultats de cette activité et de son regard sur la presse locale.

 

Seychelles NATION : Monsieur. Jean-Luc Mootoosamy présentez-vous à nos lecteurs.

M. Mootoosamy : Je suis Mauricien et Suisse, journaliste, directeur du cabinet suisse Media Expertise. Je travaille en général dans des zones de conflits et de crises sur le continent africain – ce qui n’est pas le cas des Seychelles. Avec Media Expertise, je forme des journalistes selon les besoins des médias. J’accompagne des rédacteurs en chef et patrons de médias dans l’écriture de projets, de grilles de programmes, de stratégies de production et de diffusion visant à apporter une information de qualité à leur public.

 

Seychelles NATION : Toute la semaine dernière, vous avez donné une formation à une dizaine de journalistes seychellois. C’est votre deuxième intervention de ce type chez nous. Pourquoi ces activités de formation ?

M. Mootoosamy : Ces deux interventions sont dans le cadre du projet Gouvernance, Paix et Stabilité (GPS) de la Commission de l’Océan Indien (COI) avec le soutien de l’Agence Française de Développement (AFD). GPS a plusieurs composantes dont la prévention de crise, l’accompagnement des commissions électorales et l’appui aux institutions démocratiques des Etats membres. Avec mon employeur, l’Agence française de développement média (CFI), j’ai la charge du volet média de GPS, la formation des journalistes fait partie de ces activités. En juin 2023, nous avons formé une dizaine de participants aux codes d’un journalisme en contexte sensible – avec une attention particulière aux choix des mots utilisés – et cette fois c’est un accompagnement de journalistes pour couvrir de manière professionnelle les travaux de l’Assemblée Nationale des Seychelles.

 

Seychelles NATION : La préparation s’est faite avec l’Assemblée Nationale ?

M. Mootoosamy : Notre collaboration entre le projet GPS et l’Assemblée Nationale seychelloise s’est très bien passée. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le bureau de la Secrétaire générale et je souhaiterais ici remercier Mme Tania Isaac et son équipe, particulièrement son adjointe, Melle Alexandria Faure, deputy clerk, qui a été d’une aide précieuse pour choisir les dates de formation, échanger sur les contenus et qui a fait de son mieux pour permettre aux journalistes de voir l’Assemblée Nationale et ses « coulisses ». Je tiens vraiment à saluer cette ouverture dans le cadre de ce qui était possible. J’ai pu construire le reste de la formation à partir de cette disponibilité de l’Assemblée Nationale. La préparation s’est aussi faite avec la Commission électorale des Seychelles qui est venue présenter le mode d’élection des membres de l’Assemblée Nationale. Mes remerciements à Mme Manuella Amesbury, la chief electoral officer, pour cette collaboration qui a été très appréciée.

 

Seychelles NATION : Et quels sont les résultats de cette formation ? Qu’attendez-vous maintenant ?

M. Mootoosamy : Je dirais que tout est maintenant entre les mains des journalistes et de l’Assemblée Nationale. Je pense que l’objectif de consolider ou de recréer des ponts entre les médias représentés et cette institution démocratique est atteint. C’est un premier pas important et je suis très heureux que chacun ait saisi l’opportunité de cette formation pour s’interroger sur ce qu’il pourrait faire pour aller vers l’autre. J’attends de voir comment l’Assemblée nationale sera couverte par les participants. Comme dans un restaurant, j’attends de voir comment le plat qui sera préparé par les médias sera servi au public. J’attends aussi d’entendre ces journalistes et l’Assemblée Nationale sur des améliorations dans les relations et le travail de terrain. J’étais aussi heureux que le Président de la République, M. Wavel Ramkalawan qui s’est exprimé via un message écrit, lors de la clôture, a encouragé les journalistes à produire des contenus de qualité.

 

Seychelles NATION : Après cette interaction avec les journalistes locaux, comment voyez-vous la presse seychelloise ?

M. Mootoosamy : J’ai vu beaucoup de passion, d’amour du métier, de bonne volonté. J’ai aussi senti que les journalistes ont envie d’apprendre. Cela n’a pas été facile de réunir 10 journalistes pour cette formation et je remercie l’Officier permanent de liaison des Seychelles, M. Ralph Agrippine qui a aidé le projet GPS à sensibiliser les patrons de presse. Ils ont répondu favorablement même s’ils ont des ressources humaines limitées.

Aux journalistes que je rencontre, je dis toujours de penser au public. Même si certains journalistes font l’objet de pression, je les encourage à garder le cap dans la recherche de vérité. Je leur demande aussi d’être professionnels, de faire leur « home work », de se documenter quand ils traitent un dossier, de faire honneur au métier et surtout, surtout, de ne pas tomber dans le manque de respect de l’autre, l’insulte, les règlements de compte via leur clavier. Je pense que nous ne devons pas confondre liberté de la presse et permis de publier tout et n’importe quoi sans redevabilité. Je vois beaucoup d’opportunités pour la presse seychelloise, en termes de développement dans le public ou le privé. Malgré les vents contraires, le secteur a des raisons d’envisager un avenir ici.

 

Seychelles NATION : Les réseaux sociaux ont fait naître des journalistes auto-proclamés. Quel est votre regard dessus ?

M. Mootoosamy : Journalisme, c’est un métier, avec des codes, avec une redevabilité vis-à-vis d’un rédacteur en chef, d’un public. Un individu convaincu d’être « influenceur », une personne sur Facebook, Instagram, TikTok n’est pas immédiatement un journaliste. Cette personne est une source d’information intéressante. Des journalistes passent parfois dans une salle de rédaction avant de poursuivre leur carrière sur des réseaux. Ceux-là connaissent le cadre de notre fonctionnement. Mais les autres qui n’ont jamais eu de lien avec une salle de rédaction ne rendent pas toujours service à notre métier et à la société.

Il faut garder un regard critique sur tout ce qui nous parvient. Quand une vidéo tombe sur mon WhatsApp, je ne la repartage que si j’ai fait des vérifications. Avec ce type d’application, nous sommes potentiellement tous des diffuseurs. C’est une responsabilité. Mais les médias, la presse doivent absolution apprivoiser ces canaux de diffusion pour y mettre des contenus fiables. Sinon, ils risquent d’être spectateurs de leur disparition.

 

Seychelles NATION : Et l'intelligence artificielle, vient compliquer les choses !

M. Mootoosamy : Oui et il faut s’attendre à ce que cela grandisse. Il faut ajouter à cela les usines à « fake news » pour déstabiliser des sociétés. Raisons de plus pour que la presse soit consciente des enjeux et qu’elle saisisse des opportunités pour proposer des contenus qu’une machine, aussi « intelligente » qu’elle puisse paraître, ne pourra pas réaliser.

 

Seychelles NATION : Jean-Luc, vous êtes aussi le journaliste africain, enfant de l’Océan Indien qui voyageait régulièrement avec le pape François ! Parlez-nous de cette expérience exceptionnelle.

M. Mootoosamy : C’est ce que le journalisme m’a offert de plus beau et de plus fort. Sans ce métier, sans le parcours qui a été le mien, je n’aurais pas voyagé avec un pape ! J’ai fait quatre voyages avec lui depuis 2019 au Mozambique, Madagascar et Maurice puis Canada en 2022. L’an dernier, j’étais en République démocratique du Congo et Soudan du Sud en janvier puis au Portugal en août. Ce sont des voyages extraordinaires qui demandent beaucoup de préparation – y compris physique – et de rigueur. Nous sommes proches du pape, nous le rencontrons, nous l’interrogeons en conférence de presse sur l’avion. Notre rôle dans ces voyages est de raconter, d’être des témoins fidèles de ce qui se passe, de manière honnête, en respectant des règles d’embargo et de sécurité. Avoir une place sur l’avion n'est jamais garanti. Je dois aussi chercher des sponsors pour financer ces voyages, car le Vatican ne couvre pas nos frais – peut-être que des soutiens seychellois seraient intéressés. J’offre ainsi une couverture à ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux ou des médias partenaires intéressés par ce sujet très rassembleur.

 

Seychelles NATION : Quand reviendrez-vous aux Seychelles ?

M. Mootoosamy : Une nouvelle formation pour la couverture électorale est prévue pour la fin de l’année 2024. Mais il est aussi possible que je revienne avant et j’en serais heureux pour continuer à partager ce que j’ai reçu de mes consœurs et confrères dans l’unique but de mieux informer les citoyens de votre pays.

 

Propos recueillis par Vidya Gappy.

Photos : Commission de l’Océan Indien

 

 

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