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Entretien avec l’Ambassadeur de France aux Seychelles, Dominique Mas |20 March 2021

Entretien avec l’Ambassadeur de France aux Seychelles, Dominique Mas

L’Ambassadeur Mas

« La Francophonie n’est pas un instrument de la France. C’est un réseau au service de nos idées et valeurs partagées ! »

 

La Journée de la Francophonie célébrée chaque année le 20 mars offre au grand public l’occasion de fêter la langue française en lui manifestant son attachement et en célébrant sa richesse et sa modernité.

Le thème choisi cette année est « Femmes francophones, Femmes résilientes ».

Nous vous proposons une interview avec l’Ambassadeur de France aux Seychelles, Dominique Mas qui nous de l’importance de la place des femmes dans cette époque très compliquée pour des raisons sanitaires, l’évolution de la langue française et l’utilisation de la langue française aux Seychelles.

 

Seychelles NATION : M. l’Ambassadeur pouvez-vous nous parler de l’évolution de la langue française ?

Ambassadeur Mas : La langue française est une langue extrêmement vivante. Les langues ne sont pas figées, elles sont comme les êtres humains ou les cultures, elles doivent évoluer pour pouvoir survivre. Et ce qui me fascine dans notre langue commune c’est sa capacité à intégrer de nouvelles expressions, de nouveaux mots ou concepts. La langue française est aujourd’hui un mélange de cultures et de peuples différents représentant tous les continents de ce monde, de l’Asie du Sud-est jusqu’au Canada en passant par les continents africain et européen. Ainsi, 48% de la population francophone vient du continent africain. Il est logique que cette population diverse influence la langue en ajoutant ou en modifiant des mots, et c’est toute la poésie de la langue que d’entendre des expressions africanisées du français. Par exemple, ici on dit « il a gagné un diplôme », en Europe on dirait « il a obtenu un diplôme » ; au Sénégal, on parle « d’une voiture gâtée » pour dire qu’elle est cassée, aux Seychelles, vous diriez peut-être une « kales kase » (rires). Le français est une sorte de créole aussi, car il est le résultat d’un mélange de langues, de cultures, d’expressions diverses qui sont présentes sur tous les continents. La langue de Molière est un « sang mêlé », elle a toujours évolué et le jour où on arrêtera d’inventer des mots, elle deviendra une langue morte. C’est ce qui explique que l’Académie Française ajoute chaque année des mots dans le dictionnaire.

 

Seychelles NATION : Depuis votre arrivée aux Seychelles, comment voyez-vous l’utilisation de la langue française dans notre pays ?

Ambassadeur Mas : Il y a trois langues officielles aux Seychelles, mais le français est certainement la langue la moins pratiquée des trois pour différentes raisons ! L’essentiel de l’éducation se fait en anglais aux Seychelles et le français est introduit dans le cursus scolaire comme une langue étrangère alors que c’est pourtant une langue officielle. Tout l’enjeu pour nous francophones, c’est de promouvoir un enseignement du français de qualité. C’est pour cela qu’on souhaite travailler avec le Conseil Départemental de la Réunion et avec l’aide de l’Organisation Internationale de la Francophonie pour améliorer qualitativement l’enseignement du français dans les écoles primaires et secondaires. On a déjà fait ce travail avec l’Alliance Française des Seychelles.

La deuxième raison est que le français est perçu par les Seychellois comme une langue difficile. Les Seychellois ont peur de se tromper et de mélanger les deux langues ‒ créole et français. Il faut sortir de cette appréhension ! Tous les Seychellois que je rencontre, me disent « Excusez-moi on va parler en Anglais » alors qu’ils parlent un excellent français ! Ça me gêne. Il ne faut pas hésiter, même si on se trompe de mot, car nous finissons toujours par nous comprendre. La richesse du français, je l’ai dit, c’est sa diversité de mots et d’expression qui nous permet d’exprimer plus précisément ce qu’on pense, ce que l’on ressent. C’est une langue qui est appréciée pour ça. Et puis, la langue française c’est la langue des amoureux, tous les amoureux rêvent de s’exprimer dans cette langue romantique ! (rires)

Seychelles NATION : Quelles sont les activités que l’Ambassade de France organise pour promouvoir la langue française ?

Ambassadeur Mas : Il y a effectivement l’Alliance Française qui le fait à travers ses cours de français. Avec sa médiathèque, le public a accès à des films et des livres en français. Mais dans la promotion des cultures francophones, on met aussi l’accent sur la culture seychelloise aussi. Ces derniers mois ont été très durs pour les artistes locaux mais l’Alliance a travaillé avec eux à des spectacles virtuels leur ont permis de s’exprimer et, à nous tous, de nous divertir. Un autre aspect important pour défendre la langue française et la francophonie, c’est l’échange – la mobilité des étudiants, la mobilité des chercheurs, la mobilité des enseignants. Dans le cadre de la présidence française de la COI qui va s’ouvrir, la France va promouvoir cette mobilité entre les centres universitaires de la région. Cela va aider les étudiants de la zone Océan Indien à s’ouvrir sur l’international. Il ne faut pas oublier que le français n’est qu’un vecteur, un outil pour permettre aux gens de se comprendre, de dialoguer et de travailler ensemble. C’est un atout dans la région pour bâtir des liens économiques, commerciaux, culturels et sociaux. Au sein de la COI, le français est un instrument de l’intégration régionale.

On ne peut pas oublier la présence de l’Ecole Française des Seychelles qui assure l’enseignement en français et selon les valeurs pédagogique françaises. C’est très important, car au départ, la Francophonie s’est créée sur cette idée de promouvoir la langue française mais aussi de promouvoir la pédagogie à la française. C’est une pédagogie de qualité et qui se différencie des autres systèmes éducatifs. L’élève est appelé à développer son esprit critique et ses capacités d’apprentissage et d’analyse en toute autonomie. On ne lui demande pas d’apprendre et de tout savoir mais d’apprendre à rechercher et à trier les connaissances dont il aura besoin dans sa vie professionnelle et sa vie d’adulte. La francophonie c’est cela, c’est la promotion de valeurs et d’une façon de comprendre le monde. La langue n’est que le vecteur de nos idées.

 

Seychelles NATION : Le thème de cette année est ‘Femmes francophones, Femmes résilientes’. Quel est votre message pour notre société ?

Ambassadeur Mas : Ce qui me marque, c’est l’importance de la place des femmes dans cette époque très compliquée pour des raisons sanitaires. Et c’est l’occasion pour moi de rendre hommage aux femmes seychelloises qui ont été, depuis plus d’un an, aux avant-postes dans la bataille sanitaire : les infirmières, docteures, mais aussi les caissières et commerçantes, les conductrices des bus, les enseignantes, et tant d’autres que j’oublie. En français, en anglais ou en créole, elles étaient là dans les moments critiques de cette année. Les femmes ont toujours eu ce rôle dans les temps de crise, elles nous aident à nous relever collectivement. Mais je ne veux pas donner l’impression que nous découvrons cela uniquement cette année. Aujourd’hui, on comprend mieux que notre volonté d’égalité des genres n’est pas simplement dictée par le « politiquement correct » mais par une nécessité économique et politique. On aura besoin des femmes pour le changement climatique, la résilience économique entre autres. Les femmes font partie de la solution. Au sein de la Francophonie, l’OIF porte ce sujet depuis longtemps. Avec la présidence française de la COI, nous aurons une attention plus forte sur la place des femmes au sein des pays membres.

 

Seychelles NATION : Comment l’ambassade aide-t-elle les étudiants qui font leur licence en français aux Seychelles ?

Ambassadeur Mas : C’est une discussion permanente que j’ai avec la vice-chancelière et on réfléchit à la meilleure façon de promouvoir les interactions entre l’UniSey et les universités françaises. Avec le programme de mobilité que j’évoquais plus tôt, j’espère que nous aurons des étudiants seychellois qui pourront poursuivre leurs études dans d’autres universités françaises. On a déjà des échanges avec plusieurs universités qui existent mais je pense qu’on peut faire mieux. Et puisque nous évoquions les femmes francophones, je note que tous nos boursiers sont des ‘boursières’ depuis deux ans au moins !

 

Seychelles NATION : Quelle est la relevance de la Francophonie ?

Ambassadeur Mas : La Francophonie n’est pas un instrument de la France. C’est un réseau au service de nos idées et valeurs en partage. Née il y a cinquante ans, l’OIF a été créée par quatre grandes personnalités africaines et d’Asie du sud-est : le Président sénégalais Senghor et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Roi Norodom Sihanouk du Cambodge. Au départ, c’était une agence de coopération technique autour du français. La France a rejoint l’organisation et en 2005 l’Organisation Internationale de la Francophonie a été créée parce qu’on avait compris qu’on avait besoin de disposer de ce réseau de solidarité politique. De nos jours, la francophonie, c’est toujours la défense de notre langue commune ; mais c’est aussi l’appui aux processus de paix et de sécurité dans les pays francophones dans le monde ; c’est l’aide aux élections démocratiques. La Francophonie s’engage dans l’éducation avec la Conférence des Ministres de l’Education (Confemen) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Elle soutient les Parlements avec l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), les villes francophones comme Victoria avec l’Assemblée des Maires francophones (AMF). Elle s’engage auprès de la Jeunesse avec la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports (Conféjes) et les jeux de la Francophonie. Elle est mobilisée sur les programmes de lutte contre le changement climatique. Elle est engagée dans le respect de la diversité culturelle.

La francophonie regroupe plus de 300 millions de francophones dans 88 Etats et gouvernements. C’est une force politique majeure, elle peut être la source d’un dynamisme déterminant pour la gestion multilatérale des enjeux de ce monde.

La France est, vous le savez, attachée au multilatéralisme et elle a pris des initiatives récentes dans ce sens, l’une des plus actuelles étant l’aide qu’elle a apporté à la création du programme COVAX d’achat et de distribution de vaccins contre la COVID-19 pour les pays les plus pauvres. Nous ne croyons pas à un monde unipolaire ; nous sommes convaincus que les enjeux planétaires de paix, sécurité, changement climatique, protection de la biodiversité, droits humains, etc. ne trouvent de solutions qu’au sein des institutions du dialogue multilatéral. La Francophonie est une de ces institutions.

Mais ce monde multipolaire repose sur le respect de la diversité. Pour la Francophonie, la diversité culturelle est au centre de ses combats. A titre personnel, mon métier m’a conduit à travailler sur différents continents et je me sens riche aujourd’hui de ce partage de cultures. La langue unique comme la culture unique seraient dangereuses pour tout le monde. C’est pour cela que je crois que la Francophonie a des beaux jours devant elle.

Les Seychellois ont la chance de pratiquer le trilinguisme. C’est un atout dans notre monde moderne. Et j’ai bien noté que le Président Ramkalawan, dès son premier discours, lors de son investiture, a utilisé les trois langues. De la même façon, ses ministres s’expriment très souvent en français. C’est un signe encourageant pour moi, francophone. C’est aussi une raison supplémentaire pour me mobiliser toujours en faveur de la langue que nous partageons depuis 250 ans maintenant, date du premier établissement humain aux Seychelles.

Je souhaite un bon anniversaire à la Francophonie à tous et à toutes.

 

Vidya Gappy

 

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